Actualités

Publié le 25 mars 2021

Mesurer optiquement les propriétés topologiques d’un graphène photonique

La découverte des phases topologiques de la matière, récompensée par le prix Nobel 2016, a profondément révolutionné notre compréhension de la matière condensée. La signature la plus fameuse de ces phases topologiques est l’existence d’états de surface dont certaines propriétés sont complètement insensibles à la présence de perturbations locales. Un des exemples les plus connus de tels états dits topologiques sont les plateaux de conductivité électrique observés aux bords de matériaux bidimensionnels soumis à de forts champs magnétiques, un phénomène bien connu sous le nom d’effet Hall quantique. L’extrême précision de ces plateaux de conduction, qui est notamment utilisée en métrologie, est directement liée à une quantité fondamentale en physique topologique, nommée « invariant topologique ».
Ces invariants topologiques, qui sont une propriété globale d’un matériau, peuvent être vus comme l’ADN des phases topologiques, leur signature mathématique. Néanmoins, ces invariants sont habituellement déterminés indirectement par des mesures locales qui sondent l’émergence (ou non) d’états topologiques en bordure d’échantillons. Il s’agit d’une restriction sévère dans plusieurs cas où les surfaces sont de mauvaises qualités ou difficilement accessibles. Des chercheurs du Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies, en collaboration avec des collègues du PHLAM à Lille et de ICFO à Barcelone, ont démontré une nouvelle technique permettant de mesurer directement ces invariants topologiques à partir du cœur d’un échantillon. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Physical Review Letters.
Pour ce faire, ils ont utilisé une plateforme photonique permettant de simuler la physique du graphène, un matériau dont les propriétés topologiques sont bien connues théoriquement. Dans cette plateforme, fabriquée en couplant des microrésonateurs à base de semiconducteurs (voir image a)), les photons se propagent de façon similaire aux électrons dans un cristal de graphène. La technique que ces chercheurs ont développée consiste à générer un paquet d’onde localement et à sonder sa propagation en collectant les photons s’échappant des microrésonateurs. En effectuant une simple opération mathématique sur le profil spatial ainsi mesuré, les chercheurs ont pu extraire avec précision la valeur des invariants topologiques caractérisant les bandes d’énergie de ce réseau artificiel de graphène et la présence d’états de bord (voir figure b).
Ces résultats offrent donc une nouvelle avenue pour sonder les propriétés topologiques fondamentales de la matière directement à partir du cœur d’un matériau. Cette technique pourra ainsi être étendue à des systèmes plus exotiques, afin d’identifier et de caractériser l’émergence de nouvelles phases topologiques.

Références

P. St-Jean1, A. Dauphin2, P. Massignan2,3, B. Real4, O. Jamadi4, M. Milicevic1, A. Lemaître1, A. Harouri1, L. Le Gratiet1, I. Sagnes1, S. Ravets1, J. Bloch1, and A. Amo4
Phys. Rev. Lett. 126, 127403

DOI:https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.126.127403

Affiliations

1 Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N), CNRS—Université Paris-Sud/Paris-Saclay, Palaiseau 91120, France
2 ICFO-Institut de Ciencies Fotoniques, The Barcelona Institute of Science and Technology, Avinguda Carl Friedrich Gauss 3, 08860 Castelldefels (Barcelona), Spain
3 Departament de Física, Universitat Politècnica de Catalunya, Campus Nord B4-B5, 08034 Barcelona, Spain

4 Univ. Lille, CNRS, UMR 8523—PhLAM—Physique des Lasers Atomes et Molécules, F-59000 Lille, France

Contacts

Jacqueline Bloch
Sylvain Ravets

 

Légende : a) Image en microscopie électronique d’un réseau de graphène artificiel formé en couplant des micropilliers en semiconducteurs; b) Valeurs de l’invariant topologique mesurées optiquement pour un bord zigzag et un bord « barbu » du graphène; dans les zones de l’espace récriproque où l’invariant est égal à 1, le graphène présente un état de bord.