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Publié le 9 septembre 2020

L'entropie réduit la durée de vie des bits magnétiques

Stocker durablement des informations dans des matériaux magnétiques suppose habituellement l’emploi de barrières énergétiques difficiles à surmonter. Dans une étude théorique, deux chercheurs du C2N montrent que l’entropie associée à la hauteur de barrière peut, au contraire, accélérer la perte d’information. Leurs résultats remettent en question certaines hypothèses courantes sur la stabilité thermique des nanostructures magnétiques.

 

Dans des mémoires magnétiques, les informations numériques sont stockées sous forme d’états « up » ou « down » de moments magnétiques. La prédiction précise de la durée de vie de ces états est un problème complexe mais avec de fortes conséquences pratiques. Les estimations de ce temps de rétention sont souvent uniquement basées sur la barrière d'activation, qui représente l'énergie minimale nécessaire pour basculer les moments d'un état à l'autre. Il est généralement admis que plus la barrière est élevée, moins les fluctuations thermiques sont susceptibles d'entraîner le basculement erroné d'un bit magnétique d'un état à l'autre. Mais le nombre de chemins différents pour réaliser cette commutation peut devenir tout aussi important dans certains aimants nanométriques. Le cœur du problème réside dans la loi d'Arrhenius, qui précise que le « taux d’échappement » d'une configuration « up » ou « down » dû aux fluctuations thermiques dépend de manière exponentielle de la barrière d'activation et linéairement d'une grandeur appelée « fréquence d’essai ». En règle générale, on suppose qu’il s’agit d’une fréquence de l’ordre du GHz, qui caractérise la dynamique amortie des moments magnétiques.

 

Dans un travail théorique publié dans Physical Review Letters en septembre 2020, deux chercheurs du C2N montrent qu'une autre contribution à cette fréquence d’essai - due aux effets entropiques - peut devenir tout aussi importante. L'étude se concentre sur l'activation thermique impliquant des états magnétiques non uniformes, comme une paroi de domaine qui représente la frontière entre les régions de moments « up » ou « down ». Ici, l'entropie exprime les nombreuses façons différentes dont les fluctuations peuvent se combiner avec la paroi du domaine pour réaliser la commutation. On s’attend à un tel  mode de commutation dans les disques nanométriques utilisés dans les mémoires magnéto résistives à accès aléatoire.

 

Les auteurs constatent en particulier que la composante entropique de la fréquence d’essai augmente de façon exponentielle avec la barrière d'activation, ce qui compense alors partiellement la stabilité offerte par une barrière élevée. Si ce phénomène, connu sous le nom de compensation entropie-enthalpie ou « règle de Meyer-Neldel », est observé depuis près d'un siècle dans différents domaines des sciences naturelles, il reste relativement rare en magnétisme, mais peut-être uniquement parce qu'il a été négligé.

 

L'étude suggère que la compensation pourrait être plus répandue qu'on ne le pensait auparavant, ce qui pourrait encourager d'autres chercheurs à réexaminer la question de la stabilité thermique dans les systèmes magnétiques et les dispositifs spintroniques.

 

Figure : Schéma du renversement de l’aimantation par activation thermique dans une mémoire magnétique, entre les états « up » (‘0’) et « down » (‘1’) par intermédiaire d’une paroi de domaine. Lorsque la barrière d’énergie ΔE augmente, la contribution entropique à la fréquence d’essai croît de façon exponentielle avec les combinaisons possibles entre les fluctuations thermiques et le mouvement de paroi qui mènent au renversement.

 

Référence :

Entropy-reduced retention times in magnetic memory elements: A case of the Meyer-Neldel compensation rule

Louise Desplat1,2 and Joo-Von Kim1

Physical Review Letters 125, 107201 (2020)

DOI : 10.1103/PhysRevLett.125.107201

Lien pour télécharger le preprint sur arXiv : arXiv:2007.02152

 

1. Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N), CNRS / Université Paris-Saclay

2. Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg (IPCMS), CNRS / Université de Strasbourg

 

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