Dans le cadre de l'informatique et des communications quantiques optiques, un des objectifs majeurs consiste à construire des nœuds récepteurs réalisant des opérations conditionnelles sur des photons incidents, en utilisant un seul qubit stationnaire. En particulier, la quête vers des nœuds modulables a motivé le développement d'interfaces spin-photon améliorée par cavité, avec des émetteurs à l'état solide. Il reste cependant un défi important à relever : produire un état photonique stable, contrôlable et dépendant du spin, d'une manière déterministe. Nous utilisons ici une cavité en micropilier électriquement contactée, intégrant une boîte quantique en InGaAs unique, pour démontrer des rotations de polarisation géantes induites sur les photons réfléchis par un spin d'électron unique. Une approche complète de tomographie est introduite pour extrapoler le vecteur de Stokes de la polarisation de sortie, conditionné par un état de spin spécifique, en présence de fluctuations de spin et de charge. Nous approchons expérimentalement les états de polarisation conditionnellement tournés de π/2, π, et -π/2, dans la sphère de Poincaré avec des fidélités extrapolées de (97 ± 1) %, (84 ± 7) %, et (90 ± 8) %, respectivement. Nous constatons qu'un couplage lumière-matière amélioré, associé à une biréfringence limitée de la cavité et à des fluctuations spectrales réduites, permet de cibler la plupart des rotations conditionnelles dans la sphère de Poincaré, avec un contrôle à la fois en longitude et en latitude. Un tel contrôle de la polarisation peut s'avérer crucial pour adapter les interfaces spin-photon à diverses configurations et protocoles pour l'information quantique.
En vue du développement des communications quantiques et du calcul quantique optique, un enjeu majeur est de contrôler l’interaction lumière-matière au niveau le plus fondamental : les qubits (bits quantiques) associés à des particules uniques. Les interfaces spin-photon sont l'une des plateformes les plus intéressantes de ce point de vue, puisqu’elles permettent de coupler un qubit de spin (pouvant potentiellement servir de nœud de calcul) avec des qubits messagers : les photons. Un important défi consiste à utiliser efficacement de telles interfaces comme dispositifs récepteurs de photons incidents, capables de modifier l’état des photons reçus via l’interaction avec le qubit de spin.
Une équipe dirigée par le Dr. Loïc Lanco au C2N, le Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (CNRS – Université Paris Saclay – Université Paris Cité), a étudié une interface spin-photon constituée d’un atome artificiel – une boîte quantique semiconductrice en InGaAs – incorporé dans une structure photonique – une cavité de type micropilier, contactée électriquement. L'objectif d'une telle interface est d’établir une correspondance parfaite entre l'état du spin d’un électron, confiné dans la boîte quantique, et l'état de polarisation d'un photon réfléchi par le dispositif.
Dans ses expériences, réalisées sous champ magnétique et à la température de l’hélium liquide, l’équipe du C2N a démontré une rotation géante de la polarisation optique induite par le spin d'un seul électron. En dépit des fluctuations très rapides de l’orientation du spin, elle a pu extrapoler l’état de polarisation conditionnel des photons réfléchis, lorsque le spin pointe vers le haut. Contrairement à tous les travaux précédents, les scientifiques du C2N ont pu réaliser une tomographie de polarisation – c’est-à-dire déterminer l’état complet du qubit de polarisation, représenté dans la sphère de Poincaré qui décrit l’ensemble des états possibles. Grâce à des interfaces spin-photon largement optimisées par rapport aux précédentes réalisations, l’équipe a notamment pu démontrer une rotation complète (180° dans la sphère de Poincaré) de l’état de polarisation, et analyser la dépolarisation résiduelle induite par les fluctuations de l’environnement.
"Notre approche de tomographie, pour mesurer la rotation de la polarisation à la sortie de notre système, donne accès aux caractéristiques complètes de l’état de polarisation : sa longitude et sa latitude dans la sphère de Poincaré, mais également la pureté de polarisation", a déclaré le Dr. L. Lanco, enseignant-chercheur à l’Université Paris Cité. "Comme nous nous y attendions, les spins des noyaux constituant la boîte quantique induisent des fluctuations spectrales, qui limitent la pureté de polarisation des photons réfléchis, mais ne limitent pas les rotations que l’on peut atteindre, en latitude comme en longitude".
Ce travail est l'une des premières étapes vers la réalisation de portes logiques spin-photon et photon-photon, plus efficaces et pouvant servir de briques de base pour un futur réseau quantique, effectuant du calcul quantique avec des photons.
Références
Giant optical polarisation rotations induced by a single quantum dot spin
E. Mehdi1, M. Gundín1, C. Millet1, N. Somaschi2, A. Lemaître1, I. Sagnes1, L. Le Gratiet1, D. A. Fioretto1, N. Belabas1, O. Krebs1, P. Senellart1 & L. Lanco1
Nature Communications volume 15, Article number: 598 (2024)
DOI https://doi.org/10.1038/s41467-023-44651-8
1Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies, CNRS, Université Paris-Saclay, Université Paris Cité, 91120, Palaiseau, France
2Quandela, 7 rue Leonard de Vinci, 91300, Massy, France