Actualités

Publié le 4 février 2022

Un système parfaitement symétrique qui aboutit à un état non symétrique : nanocavités optiques couplées sous excitation cohérente

Dans la nature, certains systèmes peuvent ne pas obéir à ses symétries initiales. On parle alors d’une « brisure spontanée de symétrie » (BSS), telle qu’on la rencontre en mécanique, hydrodynamique, ou encore en physique de particules. C’est d’ailleurs un mécanisme de ce type qui est couramment évoqué pour expliquer la masse non-nulle du boson de Higgs…
Une équipe du C2N, en collaboration avec des chercheurs des Pays-Bas et de Nouvelle-Zélande, a travaillé sur un nano-système taillé sur mesure, avec une symétrie miroir « parfaite » par construction : un ensemble de deux nanocavités optiques identiques, excitées de manière égale par une laser. Les cavités optiques couplées à excitation cohérente portent un grand intérêt aujourd’hui car elles sont les briques de base de nombreuses technologies pour le traitement optique de l'information.
Depuis la première démonstration de la brisure spontanée de symétrie miroir dans des nanolasers couplés par l'équipe du C2N en 2015 [1], dans laquelle le pompage était incohérent, plusieurs groupes ont tenté de comprendre ce qui se passe en excitation cohérente, c'est-à-dire avec un laser fixant la phase optique. Mais pourquoi la « cohérence » est-elle si importante dans ce contexte ? Parce qu'elle permet des corrélations de photons non classiques (intrication), comme il a été récemment prédit dans des systèmes à cavités couplées avec des non-linéarités « délocalisées », autrement dit en l'absence d’émetteurs uniques [2].
La présente publication [3] est la première démonstration de la brisure spontanée de symétrie miroir dans des cavités couplées à excitation cohérente. Dans ce but, deux nanocavités à cristaux photoniques couplées de manière évanescente dans de membranes minces de Phosphure d'Indium avec des puits quantiques intégrés ont été réalisées dans la salle blanche C2N. Remarquablement, un tel système, fonctionnant dans le régime de couplage faible et à température ambiante, est décrit avec précision par le célèbre modèle de Bose-Hubbard, qui tient compte de l’effet tunnel et de l'interaction des bosons dans les réseaux optiques, largement répandus en physique atomique et en matière condensée.

Les symétries jouent un rôle fondamental en physique, et sont souvent au cœur de nombreux phénomènes observés.  En effet, les systèmes naturels ont tendance à obéir les symétries que leur sont imposées : si l’on écarte un pendule de sa position d’équilibre, il oscillera pour retourner finalement à sa position verticale. L’intuition triomphe : rien ne nous faisait prévoir qu’il resterait à gauche ou à droite, puisque le système est symétrique.
Or ceci n’est pas toujours le cas : certains systèmes peuvent briser spontanément leur symétrie, autrement dit, refuser de se comporter comme prévu.  Les formes hexagonales des déserts de sel, les géométries curieuses des flocons de neige, la convection des masses d’air en forme de rouleaux dans l’atmosphère, les transitions de phase en ferromagnétisme, ou encore une tige flexible qui, posée verticalement et appuyée par le dessus, finit par basculer, cette fois-ci, d’un seul côté… Autant d’exemples de ce qu’on appelle en physique une brisure spontanée de symétrie (BSS).
L’un de systèmes modèle pour réaliser la BSS en physique atomique et en matière condensée ce sont des particules (bosons) en interaction dans un double puits de potentiel : on parle alors du « dimère de Bose-Hubbard (BH) ». Le système possède une symétrie miroir (Z2), mais pour autant, l’état des particules, décrit par leur fonction d’onde, peut ne pas respecter cette symétrie, et devenir confiné dans l’un des puits de potentiel : un seul côté du miroir. Pour cela une forte énergie d’interaction (U) est nécessaire : elle doit excéder l’énergie de « tunneling » (J) qui permet aux particules de sauter d’un puit à l’autre, |U|>|J|. Les réseaux de Bose-Hubbard sont largement investigués en physique atomique, car ils permettent de réaliser des transitions de phase quantiques en réseaux étendus –transitions de phase superfluide-isolateur de Mott. Déjà dans le cas de dimères de BH dissipatifs (avec de partes et injection de particules), des travaux théoriques récents prédissent des phénomènes quantiques intéressants tels que l’intrication en régime de BSS, ouvrant la voie à la recherche de corrélations quantiques et des transitions de phase quantiques hors-équilibre dans les réseaux de BH.
La nanophotonique intégrée est une plateforme de choix pour la mise en œuvre de la brisure spontanée de symétrie en réseaux. Les particules en question sont des photons, les puits de potentiel des pièges à photons ou « cavités optiques », et les interactions sont fournies par l’interaction lumière-matière ou nonlinéarité optique. Tout l’enjeu et de pouvoir fournir de fortes nonlinearités de troisième ordre, dites « Kerr », pour atteindre les seuils de BSS avec des faibles intensités lumineuses. Et pour cela, l’ingénierie de réseaux de nanocavités avec des puits quantiques semiconducteurs III-V joue un rôle primordial : la nonlinéarité Kerr des puits quantiques est forte, et il est possible de choisir à souhait non seulement la grandeur de J, mais aussi son signe ! C’est le choix de ce signe qui permet d’observer des états à symétrie brisée avant que d’autres phénomènes nonlinéaires ne prennent le dessus…
La brisure spontanée de symétrie miroir en nanophotonique avait déjà été démontrée en 2015 par l’équipe « Nanocavités à peu de photons » du groupe TONIQ du C2N, en utilisant deux nanolasers couplés, avec seulement 100 photons dans les cavités. Mais la nonlinéarité était véhiculée par le gain optique du matériau –rappelant des collisions inélastiques dans les systèmes atomiques– et n’étaient donc pas du type Kerr, une différence fondamentale par rapport au dimère de BH. Cette année, la même équipe, en collaboration avec des chercheurs en Nouvelle Zélande et au Pays Bas, ont démontré la BSS dans un dimère de BH nanophotonique, formé par deux nanocavités couplées à cristal photonique. Contrairement aux nanolasers de 2015, ici l’excitation optique est cohérente (résonante), et la nonlinéarité en jeu de type Kerr. On montre que, une fois le signe de l’énergie d’interaction fixée par le matériau (ici U>0 ou « blue-shift »), l’observation d’une SSB « pure » n’est garantie que si l’énergie de tunneling est négative (J<0) ! Ces méta-matériaux photoniques permettent une ingénierie des paramètres difficilement atteignable par ses homologues atomiques ou supraconducteurs.

[1] Hamel et al, Nat Photonics 2015
[2] Casteels & Ciuti, PRA 95, 013812 (2017).
[3] Garbin et al, PRL 2022

References

Spontaneous Symmetry Breaking in a Coherently Driven Nanophotonic Bose-Hubbard Dimer
B. Garbin1, A. Giraldo2,3, K. J. H. Peters4, N. G. R. Broderick5,3, A. Spakman4, F. Raineri1,6, A. Levenson1, S. R. K. Rodriguez4, B. Krauskopf2, and A. M. Yacomotti1

Phys. Rev. Lett. 128, 053901
DOI : https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.128.053901

Contact C2N : Alejandro Giacometti

Affiliations

1Université Paris-Saclay, CNRS, Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies, 91120 Palaiseau, France
2Department of Mathematics and Dodd-Walls Centre, The University of Auckland, Private Bag 92019, Auckland 1142, New Zealand
3Photon Factory, Department of Physics, University of Auckland, Auckland 1010, New Zealand
4Center for Nanophotonics, AMOLF, Science Park 104, 1098 XG Amsterdam, Netherlands
5Department of Physics and Dodd-Walls Centre, The University of Auckland, Private Bag 92019, Auckland 1142, New Zealand
6Université Côte d’Azur, Institut de Physique de Nice, CNRS-UMR 7010, Sophia Antipolis, France

Figure : Un faisceau laser éclaire symétriquement deux cavités optiques couplées identiques. Les cavités sont les zones grises avec des trous manquants et délimitées par des trous rouges. Au-dessus d'une intensité lumineuse critique, une infime perturbation peut briser spontanément la symétrie du système ; la colonne de trous verts est l'axe de symétrie. Une fois la symétrie brisée, l’intensité lumineuse dans l’une des deux cavités devient plus forte. Cette situation est similaire à celle d'une particule située au point instable d'un double puits de potentiel ; une infime vibration le fera tomber spontanément sur l'un des deux puits.