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Publié le 15 juin 2020

Les cycles limites mésoscopiques résistent aux fluctuations quantiques

En utilisant deux nanolasers couplés, des chercheurs ont démontré l’existence de cycles limites mésoscopiques, avec seulement un millier de photons dans les cavités, largement influencés par le bruit quantique d’émission spontanée.

Tout système dynamique dissipatif « libre », comme un pendule subissant des frottements dans l’air, finit à long terme dans un état de repos. Toutefois s’il s’agit d’un système non-linéaire, et si de l’énergie lui est fournie de manière continue, le système peut développer un mouvement périodique : c’est un cycle limite. On dit que ces oscillations brisent spontanément la symétrie de translation temporelle, car les forces agissant sur le système n’ont pas d’« horloge externe ». En photonique le phénomène de cycle limite suscite un grand intérêt comme embryon de nombreuses applications telles que les peignes de fréquence, les sources de lumière impulsionnelle, les instabilités dites « paramétriques » et parce qu’il constitue une route possible vers le chaos. Bien comprise en physique classique, l’existence du cycle limite dans le domaine quantique est néanmoins controversée. En 2012, le Prix Nobel de physique Frank Wilczek a prédit l’existence d’un mouvement périodique quantique brisant la symétrie de translation temporelle, ouvrant un nouveau domaine de recherches désormais appelé « cristaux temporels » par analogie à la périodicité spatiale des cristaux. Depuis, quelques démonstrations expérimentales ont vu le jour, mais surtout des débats intenses se sont succédés au sein de la communauté scientifique.

Aujourd’hui, la question de la survie –ou pas— des cycles limites soumis à de fortes fluctuations quantiques demeure ouverte. Des chercheurs du C2N, en collaboration avec l’Université de California San Diego (USA) et l’Université des Baléares (Espagne), ont mis au point une approche nouvelle pour adresser la question de l’existence des cycles limites en présence de fortes fluctuations. Elle consiste en l’utilisation de nanolasers, systèmes intrinsèquement influencés par les fluctuations quantiques du bruit d’émission spontanée. Les chercheurs ont ainsi fournit une preuve statistique expérimentale de l’existence de cycles limites de nature stochastique, nommés « cycles limites mésoscopiques », à mi-chemin entre le nanoscopique (quelques photons) et le macroscopique (un champ laser classique). Leurs travaux* ont fait l’objet d’une publication dans Physical Review Letters.

L’étude a montré que dans un nanolaser formé de deux nanocavités couplées, des cycles limites sont générés au point de basculement de modes (mode switching), et qu’ils survivent aux fortes fluctuations. Ces cycles limites peuvent être caractérisés statistiquement alors même que leur fréquence très élevée (des centaines de GHz) et leur énergie ultra faible (seulement un millier de photons) rendent leur observation directe très difficile. Le nombre relativement faible de photons dans les cavités (plusieurs ordres de grandeur en dessous des lasers conventionnels « macroscopiques ») a des conséquences fondamentales sur la dynamique temporelle. Les auteurs ont appelé ces états oscillatoires des « cycles limites mésoscopiques ». 

Les nanolasers, réalisés à base de cristaux photoniques en semiconducteur, ont été conçus, fabriqués et étudiés expérimentalement au C2N. Ils s’avèrent constituer un laboratoire de choix non seulement pour tester l’influence des fluctuations quantiques sur les cycles limites, mais également pour l’investigation de la brisure spontanée de la symétrie de translation temporelle, un élément central des cristaux temporels qui a largement motivé de nombreuses recherches au cours des dernières années.

*Ce travail a été réalisé dans le cadre du Projet de Recherche International (IRP CNRS) Franco-Americain « Nanoélectronique », qui a rendu possible la collaboration avec le groupe américain, avec l’aide d’une bourse Chateaubriand de l’Ambassade de France aux Etats-Unis.

 

Référence :

Mesoscopic limit cycles in coupled nanolasers,
M. Marconi1, F. Raineri1, A. Levenson1, A. M. Yacomotti1, J. Javaloyes2, S. H. Pan3, A. El Amili3, et Y. Fainman3
Physical Review Letters (2020)
DOI : https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.124.213602

1 Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies – C2N (CNRS/Université Paris-Saclay)

2 Departament de Física and IAC-3, Universitat de les Illes Balears, Spain

3 Department of Electrical and Computer Engineering, University of California San Diego, USA

 

Contact :

Alejandro M. Giacomotti, chercheur CNRS au C2N

 

Figure : Battement de modes dans des nanolasers couplés en cristal photonique (en haut à gauche), conduisant à des «cycles limites mésoscopiques». Malgré les fortes fluctuations quantiques qui diminuent considérablement la durée de vie du cycle limite, l'intensité dans l'une des cavités subit des milliers d'oscillations avant de que celui-ci s’éteigne (en bas à gauche). À droite: simulations numériques du paramètre d'ordre tenant compte de l'amplitude du cycle limite (A) et des corrélations croisées de second ordre à délai nul [g(2)BA(0)] montrant une transition entre le régime macroscopique [g(2)BA(0)=1] et le régime dit mésoscopique [g(2)BA(0)= 2/3], en fonction de l'inverse du facteur d'émission spontanée (1/β). Ce dernier est lié au nombre caractéristique de photons intracavité, ce qui définit la «taille du système». L'étoile rouge indique notre résultat expérimental.